Climat toxique au travail: des affaires à suivre

 

7 juin 2022

De Julie Payette à Nathalie Bondil, en passant par Pascale Nadeau et l’ex-ministre Marie-Ève Proulx, plusieurs femmes ont été dénoncées pour avoir installé un climat toxique dans leur environnement de travail. Pourquoi autant de femmes ? Est-ce qu’elles adoptent davantage ce genre de comportement que les hommes ? Ou serait-on moins tolérants envers elles ?  

-Martine Letarte

« Je ne peux pas dire s’il y a plus d’hommes ou de femmes qui créent un climat toxique au travail, mais c’est certain qu’il y a maintenant beaucoup plus de femmes qu’avant dans des postes de décision, alors la loi des probabilités fait qu’on entend davantage parler de femmes qui ont ce genre de comportements », indique d’emblée Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec.

Elle ne pense pas toutefois que ce genre d’attitude soit davantage féminine que masculine. « Je crois même qu’il y a une quinzaine d’années, beaucoup de femmes pouvaient penser qu’elles devaient adopter ces comportements qu’on associe plutôt au genre masculin, comme un leadership autoritaire, pour accéder aux lieux de pouvoir. Mais, je constate que les choses ont beaucoup changé. Maintenant, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, c’est le leadership bienveillant et rassembleur qui est recherché et valorisé. »

 «C’est plus une question de personnalité et de style de gestion que de genre. Ces gens ont des attentes déraisonnables envers leurs employés et des conduites vexatoires.» - Marianne Plamondon, avocate spécialisée en droit du travail et de l’emploi et associée chez Langlois Avocats à Montré

Marianne Plamondon, avocate spécialisée en droit du travail et de l’emploi et associée chez Langlois Avocats à Montréal, indique pour sa part avoir bien des cas de harcèlement qui touchent des hommes dans ses dossiers. « C’est plus une question de personnalité et de style de gestion que de genre, précise-t-elle. Ces gens vont avoir des attentes déraisonnables envers leurs employés et des conduites vexatoires. Ils vont tenter de les humilier pour tenter d’obtenir d’eux une meilleure performance. »

À l’automne 2021, la protection de l’intégrité psychologique des employés a été ajoutée aux dispositions de la Loi sur la Santé et la Sécurité au travail.

Elle est aussi d’avis que les employés en laissent moins passer qu’avant. « Il y a une question de génération, indique-t-elle. Les jeunes tolèrent beaucoup moins ces types de comportements qu’on pouvait voir fréquemment il y a 15 ou 20 ans. »

 Marianne Plamondon pense aussi que la pandémie a amené les gens à prendre de la distance par rapport au travail. « Avec le télétravail, plusieurs personnes ont remis en question la place que prenait le travail dans leur vie, affirme-t-elle. Les gens sont aussi mieux informés qu’avant et se sentent plus à l’aise de dénoncer des situations abusives. »

Les lois protègent-elles suffisamment les employés ?

Marianne Plamondon est d’avis que si les employés se sentent beaucoup plus à l’aise de dénoncer les situations abusives, c’est en raison de la législation qui permet « de porter plainte beaucoup plus facilement qu’avant ». En 2004, la notion de harcèlement psychologique a été incluse dans la Loi sur les normes du travail. Puis en 2019, des modifications à la loi sont entrées en vigueur pour obliger l’employeur à adopter et à rendre disponible à ses salariés une politique de prévention du harcèlement et de traitement des plaintes. « Ces modifications n’étaient pas majeures toutefois parce que la grande majorité des employeurs avaient déjà mis ces éléments en place », nuance Me Plamondon.

Puis, l’automne dernier, on a ajouté la protection de l’intégrité psychologique des employés aux dispositions de la Loi sur la Santé et la Sécurité au travail. « Encore une fois, c’est maintenant nommément inscrit, mais avant que ce le soit, les avocats savaient que la protection de la santé et de la sécurité au travail visait aussi l’aspect psychologique, affirme Me Plamondon. Mais, le fait de l’écrire rend l’obligation claire pour tout le monde. »

Si le gouvernement du Québec a été très avant-gardiste avec l’arrivée de la notion de harcèlement psychologique en 2004, Manon Poirier considère toutefois que les modifications de 2019 ont été un rendez-vous manqué. « Il aurait fallu aller plus loin que simplement exiger une politique de prévention et de traitement des plaintes, affirme-t-elle. Depuis 2016, l’Ontario oblige les employeurs à tenir une enquête et à préciser plusieurs éléments sur la façon dont elle sera tenue. De plus, depuis 2018, le Code canadien du travail oblige la tenue d’une enquête. En ce moment, des gens hésitent encore à dénoncer parce que le processus est trop flou et ils ont peur de représailles. »

 

Mais, au-delà de la loi, Me Plamondon croit que les employeurs ont tout intérêt à créer un environnement de travail sécuritaire pour leurs employés dans lequel ils se sentiront à l’aise de dénoncer si jamais ils vivent une situation de harcèlement. « Bien de bons employés ne resteront pas dans un climat de travail où l’on n’agit pas contre le harcèlement, affirme-t-elle. C’est certain que l’employeur gagne à faire le maximum pour prévenir et agir contre ce genre de situation. »