BRIGITTE LEGAULT : UNE FEMME DERRIÈRE LA STARTUP CAQ


ENTREVUE DE MARIE GRÉGOIRE


RÉCIT DE DÉBORAH LEVY

Le nom de Brigitte Legault est sans doute moins connu que ceux qui figurent sur la liste du conseil des ministres du Québec. Son influence n’en est pas moins importante. Celle qui figure au 74e rang du palmarès des personnes influentes du magazine L’actualité fait partie des architectes de la victoire. Elle qui dit avoir géré la Coalition avenir Québec comme une start-up en a vu des vertes et des pas mûres. Engagée auprès de François Legault, avec qui elle n’a aucun lien de parenté, avant même qu’il ne fonde son parti, elle a connu la décroissance avant de connaître la croissance. Nous avons passé un long moment avec elle dans les bureaux de la CAQ pour décrypter les rouages de cette ascension.

Brigitte Legault n’a pas froid aux yeux, c’est le moins qu’on puisse dire après avoir passé deux heures à ses côtés. Dès ses débuts chez les jeunes libéraux, elle fait bouger les choses et commence à se faire remarquer en recrutant un exécutif qui devient rapidement une force décisionnelle dans les congrès où, désormais, les résolutions ne passent plus sans l’appui de ses jeunes officiers du Québec.

Fille de camionneur artisan, Brigitte Legault se décrit comme un « garçon manqué». Toute petite, elle a vu ses parents gérer une entreprise familiale et a appris à gérer des employés dans un milieu très masculin. Sportive, elle pratique le ballon-balai dans une équipe nationale.

Brasser les cartes ou contrarier l’ordre établi ne lui fait pas peur. Brigitte Legault gère déjà des équipes de salariés dans des succursales SuperClub Videotron, et elle a toute la confiance de ses patrons quand elle commence à faire des appels pour les libéraux de Paul Martin. Aux premières lignes de la démocratie, sur le terrain, elle mène le jeu.   De campagne en campagne, entre 2002 et 2008, Jean Lapierre et    les vieux ténors libéraux la prennent sous leur aile. Ils ont sans doute repéré son talent pour la mobilisation avec le flair de ceux qui ont de l’expérience. Avec raison. Brigitte Legault va devenir une redoutable organisatrice.

Une femme derrière la CAQ

Téméraire? Un peu. Brigitte Legault incarne une force de mobilisation dont les partis ont besoin à  l’heure  où  les  jeunes  se  désintéressent de la politique. Après avoir siégé au Parlement européen avec l’aile internationale des jeunes libéraux, elle se fait des amis très influents chez les démocrates américains et va même faire la campagne présidentielle de 2008 au New  Hampshire,  dans  l’État  de  New  York, au Texas et en Pennsylvanie. Repérée par les organisateurs, Brigitte Legault se voit confier des missions de plus en plus stratégiques. Ce n’est pas l’essoufflement qui a raison  de  son  ascension,  mais  plutôt les douaniers qui finissent par poser un peu trop de questions à la frontière.

En 2011, alors qu’elle prend une pause bien méritée après avoir planché sur la campagne des élections fédérales, elle rencontre François Legault. Jean Lapierre a parlé au futur chef de la Coalition avenir Québec de cette jeune qui n’a peur de rien. La chimie opère et Brigitte se prend de sympathie pour le chef. Elle va monter une tournée entière à travers le Québec et continuer à organiser le mouvement, puis le parti, sans aucun salaire pendant deux ans. Pourquoi? Parce qu’elle a cette fibre qui anime les militants et la conviction d’avoir mis les pieds au bon endroit.

Dès les premières rencontres, alors que la CAQ n’est encore qu’un mouvement, les sympathisants sont au rendez-vous. Les salles sont pleines, à Rouyn-Noranda comme à  Baie-Comeau.  Ils  sont  plus  de  400 à venir écouter le message de François Legault à Québec. Ce sont dans ces assemblées que germent les forces vives du parti. Brigitte le sait et elle ne ménage pas ses énergies. Elle y rencontre des femmes et des hommes avec qui elle noue des liens qu’elle ne cesse d’entretenir, jusqu’à la victoire du 1er octobre  2018.  En  coulisse  se  développent  des amitiés profondes. Brigitte ne garde aucune rancune avec celles  qui ont quitté le navire. « Je peux très bien aller prendre un café avec Dominique Anglade, même si je ne comprends pas pourquoi elle  a  choisi d’aller chez les libéraux. C’est sa décision, je la respecte et ses choix lui appartiennent.»

Une start-up au gouvernement

 
 

Le 14 novembre 2011, la « Coalition pour l’avenir du Québec» devient un parti politique. Dès les débuts, Brigitte Legault gère l’organisation du parti comme un « pop-up» : « On avait des locaux, des lignes téléphoniques, mais il fallait que ça ne coûte rien. Si on perdait, il fallait pouvoir fermer boutique le lendemain.» Le premier rendez-vous avec les électeurs est une déception, mais le score est plus qu’honorable. Côté budget, la fusion avec l’ADQ a fait mal. Aux opérations, Brigitte hérite d’un casse-tête en plus de la dette de la formation politique. Pour faire tourner la machine, la jeune directrice générale doit jouer serré avec les flux de trésorerie. Elle doit aussi expliquer à son personnel, qu’ils ne pourront pas être payés pendant les mauvaises semaines. Il y a de l’action dans les bureaux et ça ne dérougit pas. « Je gère des crises de panique en plus de mes tâches quotidiennes», nous confie Brigitte. Téméraire mais patiente,  elle  poursuit  son  plan avec méthode et résilience. Elle honore tous les engagements financiers. Petite éclaircie, la loi électorale de 2012 change la donne. Le financement public des partis politiques du Québec permet à la start-up de se structurer comme une entreprise pérenne.

Le goût du large la pousse vers la scène fédérale en 2013, mais elle       ne se rend pas à l’investiture. « Les assemblées d’investiture libres et ouvertes sont un leurre. François Legault nomme tous ses candidats. Impossible, autrement, d’avoir autant de femmes et de choisir les bons profils», constate-t-elle avec le recul.

 
 

Coaliste - plus qu’un outil électoral

Brigitte Legault_2018_partielle Roberval.jpg

Quand Brigitte Legault revient pour la campagne de 2014, le chef sait qu’il doit lui donner carte blanche. Elle a vu ce qui se fait ailleurs et sait qu’elle doit doter la formation d’une machine numérique à la hauteur. « J’ai cloné mon cerveau dans une plateforme sur mesure.» Le cerveau de Brigitte fonctionne à plein régime, et la machine connaît ses premiers succès. Elle crée une plateforme à la fine pointe, développée au Québec, entièrement conçue et alimentée par son expérience. Coaliste voit donc le jour après plusieurs rondes de négociations avec une pléthore de fournisseurs.

La CAQ est prête pour le prochain combat des urnes. L’outil – un Customer Relationship Management intelligent (CRM) – permet d’uniformiser toutes les opérations et de gérer les milliers de bénévoles qui s’activent dans les 125 circonscriptions électorales du Québec. Coaliste fait peut-être la manchette pour ses capacités en matière électorale, mais c’est aussi un outil de gestion qui permet d’appuyer les comités d’action locaux et de gérer efficacement la formation politique.

Vers la parité

En 2018, François Legault a été le premier chef de parti à s’engager publiquement pour présenter un nombre égal de candidates et de candidats devant les électeurs. Les CV affluent et Brigitte livre. Elle sollicite les groupes de femmes pour obtenir des listes de candidates. Elle appelle ces femmes une à une, rencontre celles qu’elle a connues depuis 2011, répond à leurs questions, confronte leurs hésitations et les pousse à aller de l’avant. « Après, il faut les faire élire», nous dit- elle. Les appels, les tournées, le porte-à-porte et toutes les années de mobilisation portent fruit quand la victoire se concrétise à l’automne dernier. C’est le moment de souffler un peu. Enfin presque, car Brigitte Legault n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers.

Et aujourd’hui?

« Maintenant, j’ai besoin de temps», répond Brigitte Legault quand Marie Grégoire lui demande ce qui l’attend. « Le plus difficile, aujourd’hui, c’est la relève», nous confie-t-elle. La start-up s’est rendue à bon port et, si un prochain capitaine de bateau se présente, lenavireestenordre.Maisl’empreintedeBrigitteesttellequ’ilfaudra ducourageàceluioucellequidevratrouversaplacedanscettepetite affaire devenue grande.




 
Hiver 2019Marie Grégoire